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Je sais ce que j'aime: c'est la vie!

Je sais ce que j'aime: c'est la vie!

Je sais ce que j'aime: c'est la vie!

Écran d’ordinateur scintillant de blanc, symphonie de Mahler en musique de fond, l’esprit plein de vide, je m’apprête à frapper ce clavier pour les heures qui suivent. Je me souviens gentiment, j’étais planté là quand l’autre me lança d’un ton curieux :

- Samarkand… How long do you plan to stay ?
– I don’t know.
– I think two days is enough.
– Ok, I’ll see. Really, I don’t know.

C’était toujours les même discussions. Deux jours pour Samarkand, trois jours pour Bukhara, ils devraient le noter ça dans les guides de voyage, la durée de visite conseillé. Ah ben tiens, ils le font ces cons : « itinéraire conseillé pour 3 jours / 1 semaine / 1 mois ». Quelle connerie ! J’emmerde sérieusement tous ceux qui pensent m’imposer leur style de voyage. Ils sont tous tourmentés par la peur de manquer quelque chose. C’est comme s’ils s’imaginaient déjà attablé avec leurs amis, redoutant l’effrayante question : « Alors t’as pensé quoi de … ? ». Moi je voyage pour voyager. Je veux me perdre, me prendre des claques en pleine tronche, me retrouver dans des situations incongrues, ressentir l’inconfort d’une entreprise mal préparée, devoir me battre pour avancer, expérimenter la vie à vif sans artifices et sans béquilles. Tu tombes, tu te relèves, c’est ca la vie.

Après trois jours à Samarkand, je commençais sérieusement à m’emmerder. Seul métèque parmi les autochtones, seul client de l’hotel (qui pourtant figure en tête de liste du Lonely Planet), seul touriste à errer dans les rues, bref seul quoi. Pourtant, un matin alors que je me pointait ver les 8h30 pour prendre mon petit-déjeuner, je fus surpris de constater l’existence de vaisselle sales sur la longue table de la salle commune. Quelqu’un était-il arrivé durant la nuit ? Je me réjouissais déjà de la perspective de pouvoir partager mes trouvailles de vagabond lorsqu’un regard plus attentif me fis froid dans le dos. Le couteau était étrangement disposé dans l’exacte même position dont j’avais laissé le mien le jour d’avant et c’en était de même pour le morceau de pain rassis à peine entamé… et la tasse de thé. C’était moi, les restes de mon petit-déj’ de la veille qu’ils n’avaient tout simplement pas débarrassé !

Je lisais le poisson scorpion de Bouvier et faut avouer que ça n’aidait pas à la sanité de l’esprit, mais tout de même. Prenez n’importe quel homme et placez-le à l’autre bout du monde, coupé de toutes relations avec son ancienne vie, dans une chambre simple avec trois mots de la langue du pays pour seul partenaire. Il se passe toutes sortes de choses dans la tête de cet homme là et, croyez-moi, ce n’est pas beau à voir. Tout est une expérience directe, il n’existe plus aucun filtre entre l’homme et le monde, plus aucun moyen de se protéger. Il n’y que le courage de se lever du lit, de sortir de cette chambre et d’affronter le monde. Dehors, c’est un zoo où notre homme est le seul spécimen animalier bien qu’il puisse parfois penser le contraire. Et il aurait bien tort de penser ainsi.

Le quatrième jour, Peter est arrivé. Peter Tzeng, né dans le New Jersey de parents chinois, croisé au milieu de son voyage entre Bishkek et le Caire, entre ses cours de russes et ses futurs cours d’arabes, voyageant par la route tout comme moi. Ce fut un remède direct à tous mes problèmes de santé mentale. Et puis, j’avais un interprète ce qui s’avérait bien utile vu mon niveau de russe, stagnant misérablement depuis plusieurs jours. Un dernier jour à Samarkand, un jour à Buhkhara puis il se rendit à la frontière turkmène pour choper son visa demandé à l’ambassade turkmène à Dushanbé. Grave erreur, visa rejeté à la frontière ! L’univers impitoyable des visas a encore frappé. Le pauvre a du retourner à Tashkent et prendre un avion pour Baku, payé au prix fort.

Et moi, je retourne chez Victoria. J’ai jeté un dernier regard sur toutes ces magnifiques medressas, mosquées et mausolées. C’est bien beau tout ça mais il n’y a que des échoppes pour touristes à l’intérieur. On entre dans une mosquée pour y voir les fidèles s’adonner à la prière commune et dans une medressa pour écouter le professeur instruire sagement ses élèves. Gardez vos babioles pour touristes, je ne suis pas venu pour refaire la déco de mon appartement. Je décide donc de retourner chez Victoria pour d’innombrables raisons. La plus importante est peut-être que là-bas je m’y sens chez moi… là-bas, au moins, il y a de la vie.

J’ai constaté aujourd’hui deux grands trous aux talons de mes chaussettes, toutes mes paires. Je marche beaucoup, peut-être trop… Cela me conforte dans l’idée folle qui s’est lentement immiscé dans mon esprit : il me faut un vélo.