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Afrique : faux départ

Afrique : faux départ

Afrique : faux départ

Trois ans ont passé depuis que j'ai écrit ici pour la dernière fois. Et aujourd'hui j'ai envie d'écrire même si le voyage dans lequel je me lance n'a pas vraiment commencé. Ou plutôt disons que ce fut un faux départ. J'ai envie d'écrire à propos d'un tas de choses et, pour tout vous avouer, j'ai peur que cela ne résulte en un texte un peu trop décousu. Tant pis, je prends le risque. Et je tâcherai tout de même de de conserver quelques idées pour la suite.

Ces quatre derniers mois, j'ai vécu à bord de mon 4x4, un simple Dacia Duster aménagé sobrement pour vivre libre et le coeur léger, de préférence au soleil. Soleil rime avec bonne humeur et je me rends vite compte de l'importance d'un tel élément pour le nomade que je suis devenu. Ses rayons réchauffent ma peau et m'invitent à une douche improvisée entre les arbres environnants. Frais et propre, l'énergie se manifeste, la motivation suit, c'est un effet boule de neige de positivité. Quand je suis plus proche des villes ou des lieux de randonnées, les passants s'arrêtent amusés par l'aménagement atypique de mon Duster. La petite table qui se plie et se déplie en un tour de main fait bonne impression. De même pour le buffet cuisine qui coulisse hors du coffre présentant ainsi le réchaud et les aliments. Sans oublier le panneau solaire installé sobrement sur des barres de toit bon marché. Telle une tortue, je me déplace dorénavant avec ma maison presque sur le dos. Et c'est étonnant que tout tienne dans un si petit espace. Terminons le tour du propriétaire avec ce dessin de Touareg sur la portière, un autre sur l'arrière du buffet cuisine et des pneus tout-terrains, la dernière touche qui symbolise le départ vers des contrées aux routes moins praticables.

Le Duster est prêt pour l'Afrique. Du moins c'est ce que je pense, malgré le fait que l'on m'ait conseillé un pneu de rechange supplémentaire, un pré-filtre, un snorkel, une plaque de protection moteur, une paire de plaques de désensablage, etc. etc. Je suis pour favoriser l'essentiel afin d'avoir un départ assuré plutôt que de vouloir sur-préparer ce qui à mon avis démontre surtout un manque de débrouillardise et un besoin très humain qu'ont les grandes personnes à vouloir se protéger de tout ce qui pourrait leur arriver de fâcheux (lire ou relire Le Petit Prince de Saint-Exupéry). Et puis, cela me ferait plaisir d'arriver à prouver qu'en mettant l'accent sur l'essentiel, avec un peu d'audace et d'ingéniosité, l'on peut faire quatre fois le tour du monde si l'on en a décidé ainsi. Tous ceux qui ne me croient pas sont tétanisés par la peur. S'ils essayaient seulement, ils s'en rendraient compte.

« Tout est difficile avant que ce ne soit facile »

C'est bien vrai que tout est un peu difficile au départ. Mais plus j'avance dans la vie plus je me rends compte qu'en se donnant les moyens, on arrive à faire beaucoup de choses y compris de celles dont on ne se sentait pas capable à priori. Il suffit de lire Moitessier ou Monfreid pour voir à quel point un peu d'huile de coude, une touche d'ingéniosité et du culot peuvent faire des miracles. Quand certains me disent que je les inspire, et bien sachez qu'au delà du réconfort et de l'encouragement que cela m'apporte, il y en a d'autres moi qui m'inspirent. Je m'efforce tout simplement de leur faire honneur en emmenant sur ma route un peu de leurs enseignements. Et si la vie d'aventure vous intéresse alors je ne saurais que trop vous conseiller de jeter un oeil avide sur l'oeuvre de ces personnages - car leur vie semble plus proche de la fiction que la réalité et pourtant - Monfreid, Moitessier, London, Kessel pour n'en citer que quelques uns.

A l'instar de Patrice Franceschi (pour prendre en exemple un auteur contemporain), j'ai la volonté de vivre libre et de continuer coûte que coûte de penser par moi-même. Vivre libre c'est aussi prendre conscience que l'on a besoin de rien lorsque l'on a l'essentiel. Au départ de ce voyage, je dispose de tout ce qu'il me faut pour être heureux. On me braque la moitié de mes affaires à Valencia en Espagne en brisant la vitre côté passager de ma maison nomade. Ce n'est pas grave, faux départ (nb: la vraie raison de ce retour arrière est que la frontière Maroc-Mauritanie reste fermée à cette date et il me faudra donc trouver un autre itinéraire). Je prendrai le temps de retrouver quelques essentiels qui m'ont été volé : un passeport, une doudoune, un pantalon, un ordinateur, un appareil photo et un hamac car c'est tellement pratique. Et tant pis pour le reste. Ces objets dont je fais la liste ne sont peut-être pas essentiels pour vivre mais ils le sont pour la vie que j'ai choisi. J'en ai besoin pour créer et partager avec le monde, donner du sens à ce que je fais. J'ai la chance d'avoir encore suffisamment de moyens pour me les racheter (car j'ai travaillé pour me constituer un pécule convenable), ce ne sera pas toujours le cas. Et puis, là où va l'homme blanc, la vie ne sera pas la même et les moyens non plus. Enfin, nous verrons bien.

Aux prémices de ce nouveau chapitre, j'avais imaginé un tour du monde à la voile. Et puis un jour j'ai décidé que non, je ne lui ferai pas le coup! Je ne court-circuiterai pas l'Afrique. L'Afrique est trop belle, trop oubliée, pour que je lui fasse l'affront de la négliger. Peu importe si je me retrouve sans un sous au find fond du continent africain mes rêves de voilier perdus à la dérive. Je trouverai bien un moyen de retomber sur mes pattes. J'ai confiance en la vie. Je ne sais pas où mène ce chemin que je trace depuis quelques temps déjà, avec une certaine obsession il est vrai, mais j'ai l'intuition qu'il mène quelque part de beau et peut-être même de très beau qui sait.


« Car depuis longtemps l'Afrique repousse autant qu'elle attire. D'un côté, elle suscitait parmi les étrangers la frayeur. Inconnue et imprenable, elle a pendant des siècles été protégée par sa nature interne : un climat tropical pénible, des maladies mortelles jadis incurables, l'insuffisance de routes et de moyens de transport,  sans oublier la résistance souvent acharnée de ses habitants.  L'inaccessibilité de l'Afrique a engendré le mythe de son mystère... »
– Ébène, Ryszard Kapuscinski