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Une toute petite histoire pour une toute petite fille

Une toute petite histoire pour une toute petite fille

Une toute petite histoire pour une toute petite fille

Après avoir avalé plus de milles kilomètres de montagnes russes sur l’île de Sumatra, je décidai que j’en avais assez vu et qu’un bout de route en bus ne serait pas une mauvaise idée. Il faut dire que Sumatra c’est pas le paradis du cycliste surtout quand le mercure pointe à 35. D’aventure en aventure, j’avais tout de même dormi chez l’habitant, très pauvre, trop pauvre en comparaison, si pauvre que nos maisons me font un peu honte face a ce que l’on découvre en entrant chez les locaux d’un village de Sumatra. C’était Ramadan et toutes mes journées se limitaient à deux parts essentielles. Tout d’abord pédaler quelques cent kilomètres au moins puis m’adonner à une orgie de mets locaux pour quelques rupiah. J’avais même développé un peu mon bahasa indonesia, bien involontairement, car après neuf mois de voyage, le coeur ne m’en disait plus tant.

J’achetai donc un ticket de bus Bengkulu – Jakarta dans une des nombreuses agences qui éclaboussait ma rue. Prix cartel, prix touriste ou prix ramadan, je ne saurai peut-être jamais mais on me dévalisa 40$ pour 25 heures de bus et le chauffeur ajouta 5$ pour le vélo. Plus tard, j’apprendrai que c’était bien le ramadan qui dictait sa loi et le trajet fut presque 30 heures ! Bus de nuit, un peu anxieux de ce que j’avais pu en voir la fois passée. Les collisions frontales ne semblent pas effrayer le moins du monde ces chauffards furieux. Nous verrons bien.. Je fus réveillé le lendemain matin par un jeune de l’agence qui m’expliqua dans un anglais pas trop mauvais que le bus avait changé d’horaire et que je décollais dans une heure ! Ce n’est qu’à moitié surpris que, terminant tranquillement d’empaqueter, je me rends à l’agence. Il faut dire que j’en ai vu d’autres…

Le bus s’arrête finalement après quelques heures afin de laisser les passagers se remplirent l’estomac pour les heures à venir. C’est une sorte de restoroute et comme souvent, je n’y comprends rien. Où faut-il commander ? Où faut-il payer ? Je me résigne rapidement à une méthode très simple, flemmard que je suis. Observer et imiter. Je me sert au buffet comme tout le monde et commande un « Teh Es », sorte de thé chaud versé dans de la glace, à un jeune qui avait l’air de servir à boire. Quand il s’agit de payer, je me prépare toujours au pire mais parfois ce n’est pas suffisant. On me fait une addition magique à 65’000 rupiah (6.5$) dont je renifle pertinemment l’odeur de l’arnaque. Dans ce genre de situation, je regrette de ne pas m’être plus appliqué à apprendre la langue. Le type de d’en facd va jouer l’idiot qui ne comprend rien et me refaire son addition magique sur sa calculatrice à arnaques pour touristes naïfs. Les jeunes autour à qui je montreraient le prix incrédule feront mine de ne pas comprendre et me montreront la somme à l’aide de leur billets comme si je n’étais pas capable de lire une calculatrice. Bref, je connais la musique. Dans cette situation, il y a deux options qui naissent gentiment dans mon esprit. La première, payer et m’en prendre à moi même pour ne pas avoir demandé le prix avant. La deuxième, m’énerver, prendre la tête du type et l’éclater sur le bar (non mais ça ça vient à force..). Ça me soule, je paie.

C’est moyennement satisfait de mon choix et pestant contre les 1’700 îles de l’archipel que je remonte dans mon bus. Pas une minute après le départ, le chauffeur vient ajouter un petit banc entre les deux couples de siège de ma rangée. Puis une dame avec deux petites filles viennent s’installer. Nous sommes maintenant sept sur une rangée de quatre sièges et demi pour un voyage de plus de 20 heures payé, je vous le rappelle, 45$.

Ca y est, écrasé contre la vitre, je déteste l’Indonésie et maudit tous ses habitants. J’ai peine à me calmer, enfonce mes écouteurs dans les oreilles, il me faut du classique. Et puis, quelques minutes plus tard, mon regard se pose sur cette petite fille collé à moi qui essaie de dormir avec mon bras coincé dans le dos. C’était comme si la sérenité respirait à travers elle. Et pourtant, on était comme des sardines dans une toute petite boîte. C’est alors que je cessai pour une fois de penser à ma gueule et me tordis dans tous les sens pour qu’elle ait de la place. Et je me sentis bien. S’il m’arrive parfois d’avoir les pires pensées pour les sales types, de me sentir capable du pire, au fond ce n’est pas si noir. Je crois que mon coeur est bon, enfin.. je crois.

Un vent d’humanisme souffla sur mon âme. La petite fille se mit a vomir dans un sachet plastique, le bus manqua une collision frontale de quelques centimètres et tout reprit son cours normal…