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Au Royaume d'Arabie

Au Royaume d'Arabie

Au Royaume d'Arabie

Un agneau entier préparé soigneusement par le cuisinier égyptien reposait devant moi sur une quantité astronomique de riz aux raisins parsemé d’oignons frits, de spaghettis, d’oeufs durs, de quartiers de citron et de piments rouge. Le tout était servi au moyen d’un énorme plat en métal d’un bon mètre de diamètre. Autour de ce spectacle, six saoudiens assis en tailleur attendaient calmement que je fasse le premier geste. Je levai alors la main droite et invitai le plus ancien d’entre eux me joindre pour attaquer le festin car cela est la coutume que l’on m’avait décrite par avance. Le vieillard arracha l’un des meilleurs morceaux du flan de l’agneau encore brûlant et le jeta sur le riz devant moi. Je pris une poignée de riz dans ma main droite, attrapa un peu de viande au passage et compressa le tout de façon à former une sorte de boule compacte qu’il me suffirait de pousser dans ma bouche avec le pouce. Enfin, en théorie, car si je faisais de mon mieux pour imiter cette technique, ce n’était pas toujours un succès et la tentation était forte de laisser de coté toute méthode au profit de gestes, disons, plus instinctifs. Ou pire encore, d’aller chercher ma bonne vieille cuillère. Nous mangeâmes tous à notre faim bien avant que la bête ne soit complètement nettoyée. J’avais la panse déjà bien tendu quand je réussis enfin à me convaincre d’arrêter de manger. C’était si bon et si dur de s’arrêter. Je remarquais que mes hôtes, bien qu’ayant terminé avant moi, n’avaient pas bougé. Mon hôte m’expliqua alors que personne ne se lèverait tant que je ne me serai pas levé. En ces terres d’Arabie, l’invité est roi. Mais comment étais-je arrivé là ?

Le soir précédant, je me retrouvai couché sous ma voiture dans la nuit noire avec pour seul salut ma lampe frontale et une petite pelle que j’avais d’ailleurs abandonné à son sort depuis une heure déjà. Couvert de transpiration et de sable, c’est avec mes deux bras que j’essayais de dégager le plus de sable possible. Ma roue avant droite était si enfoncé dans le sable que la plaque de protection du moteur reposait à même le sol surélevant par la même occasion la roue arrière gauche qui tournait désormais dans le vide. Comme je n’avais pas encore racheté de compresseur - chose que je fis quelques jours plus tard - je m’amusais à dégonfler mes quatre pneus à l’aide d’un petit caillou pointu et d’un minuteur mis au pif sur trente secondes. Puis, pour la énième fois, j’enclenchai le moteur, bloquai le sélecteur sur le mode 4x4 et tentai gentiment une marche arrière. Résultat, je m’enfonçais encore plus et tout était à refaire. J’aurais pu dormir là, mettant ma tête vers l’arrière de la voiture, la pente aurait été supportable mais voilà j’avais déjà beaucoup trop d’adrénaline dans les veines et une pointe d’orgueil m’empêcha de lâcher prise. Alors que je m’apprêtais à replonger dans cet océan de sable, un gros tout-terrain moderne surgit de la pénombre. L’homme qui en sortit avança vers moi avec un grand sourire et portant dans ses bras un énorme manteau en peau de bête. Comment lui dire que j’avais déjà bien assez chaud comme ça ! Enfin je le mis sur moi quelques minutes, à moitié pour lui faire plaisir et aussi car je n’avais jamais porté telle parure.

- “Where are you from?” dit-il avec le sourire jusqu’aux dents
“Salam Aleikum. Keif al-hal?” répondis-je, souriant à mon tour,
“I am from Switzerland.. Suissra!”
- “Aleikum Salam. Ah! Very good! Suissra!”

A l’aide d’une sangle et d’une de mes dégaines d’escalade, on tira sans peine ma monture hors de ces maudits sables mouvants. L’homme qui m’avait sorti de là s’appelait Abdulrahman. Il était accompagné d’un ami. Nous nous retrouvâmes bientôt sous une tente arabe accoudés à boire du thé et discuter de toutes choses. Les deux hommes m’expliquèrent qu’ils avaient visité la Suisse il y a bien longtemps et comme tout les gens que je rencontrais sur la route, ils étaient persuadés que la Suisse était le paradis sur terre. Comme je ne les contredit jamais, la légende perdure. Une fois les bavardages terminés, il me laissèrent dormir après m’avoir montré la douche. Ô quel bonheur de se recouvrir d’eau douce après une telle soirée.

Le lendemain, nous eûmes plusieurs visites dont une qui marquera mon esprit plus fortement. Un homme doté d’une longue barbe vint s’asseoir à coté de moi et entreprit sitôt de me convertir à l’Islam par discussion interposée avec Abdulrahman. Au départ, je ne compris pas toutes ces questions sur la religion et tentai tant bien que mal, sans offenser mon hôte, de lui expliquer que ma vision de la religion était que tout cela était un peu dépassé (même si bien sûr je respectais tout les points de vue).

- “Marc, si tu aimes l’aventure et que tu es prêt à te lancer dans de pareilles entreprises, à changer ta vie, pourquoi n’essayerais-tu pas l’Islam”, dit-il sans la moindre honte d’avoir choisi un angle d’attaque de si mauvais goût
- “Merci mon cher Abdulrahman pour cette suggestion mais je n’en ressens pas le besoin”, répondis-je aussitôt

Face à leur insistance à tous les deux, je commençais lentement à m’exaspérer et ne pus me retenir de répondre à leurs questions:

- “Enfin, Jésus et un prophète au même titre que Mahomet. L’Islam, le judaïsme, la chrétienté ce sont toutes des religions monothéiste où le principe est le même, croire au Dieu unique”, dis-je
- “Si Jésus est un prophète, je suis chrétien aujourd’hui!”, s’exclama Abdulrahman

Perplexe, je me demandais comment j’avais fait pour gagner si vite une partie d’échec qui s’annonçait pourtant beaucoup plus ardue. Honte à moi! Jésus n’est pas un prophète, c’est le fils de Dieu. Décidément, j’avais vite fait d’oublier mes cours de catéchisme. Les paroles d’un sketch du comédien Dieudonné me revinrent soudain à l’esprit: “Il serait d’ailleurs quoi d’autre, fils de Dieu ? Haha. Donc Dieu a des enfants, Dieu en camping, Dieu à la plage…” Voilà tout le problème. Ils ne sont pas content à cause de ça, vraiment ?! Tous ces enfantillages me dépassent définitivement. Arrêtons-là le blasphème et passons à autre chose, je vous en prie! Tiens, c’est moi qui fait la prière maintenant, c’est marrant ça.

L’Arabie Saoudite, pour moi, c’est un peu des vacances dans le voyage. On me laisse dormir où je veux, personne ne me dérange jamais et les contrôles de passeport ne sont que des formalités. Il est facile de payer soit en cash soit par carte. La plupart des locaux parlent un peu l’anglais et toutes les nécessités peuvent se trouver dans un magasin qui n’est jamais bien loin. Bref, terminées toutes les difficultés qui ont précédé mon arrivée ici. Si l’Arabie Saoudite est un paradis pour les voyageurs à deux ou quatre roues, il y réside néanmoins quelques curiosités. La première chose qui me choqua fut de voir que l’aide permanente, c’est-à-dire les personnes qui servent les saoudiens ou s’occupent de cultiver leur terres étaient toutes sans exceptions des migrants soudanais, égyptiens, éthiopiens, indiens, bangladais ou d’autres peuples de couleurs. Car vous ne verrez jamais un saoudien se mettre à genoux dans la terre pour bêcher son carré de potager. Et c’est peut-être cette couleur de peau qui malgré tout me fera penser à de l’esclavage moderne. Un jour, j’appris d’un homme qui vivait dans la montagne, qu’il payait 700 rials par mois (environ 180$) son employé éthiopien pour s’occuper de son bétail. Et je n’osais pas lui demander à combien de jours de vacances cet éthiopien put prétendre. Aussi, sur la place Al Safat à Riyadh, se produisent encore des exécutions au sabre pour les malheureux qui seraient suspectés d’avoir enfreint fortement la loi ou d’être coupable de terrorisme (en majorité des chiites). Et c’est sur cette même place, que les drains qui ont recueilli le sang des infidèles se transforment en de multiples jets d'eau immaculés filant droit vers le ciel alors que des enfants courent et dansent autour de cette fontaine dans la plus grande innocence.


Dacia Duster parked in front of an Arab tent in Saudi Arabia


Eating a whole goat in Saudi Arabia


“ C'est un garçon taciturne et très doux ; on le croirait triste, mais sans doute n'est-il que rêveur; peut-être le charme subtil des déserts danakil, où, tout enfant, il gardait les chèvres, a-t-il mis dans ses grands yeux la mélancolie douce des solitudes ! ” – La poursuite du Kaïpan, Henri de Monfreid