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Yalda et le mystérieux caravansérail afghan

Yalda et le mystérieux caravansérail afghan

Yalda et le mystérieux caravansérail afghan

Mary est repartie à Téhéran. Aslan, que j’ai laissé à Tabriz depuis bien longtemps, a sûrement repris le cours de sa vie. Le plat de fruits que j’ai déniché au bazaar en guise de reconnaissance pour tout ce que Mahsa a fait pour moi a peut-être joué son double rôle de souvenir… depuis le temps, qui sait. Et Farrin regarde probablement les étoiles dans le ciel d’Iran en pensant à ce Petit Prince qui, voyageant autour du monde, va découvrir de nombreuses planètes peuplées d’hommes si différents et pourtant si semblables.

Je me retrouve donc avec ma chère solitude en plein coeur de Mashad à loger chez Vali, un vieux marchand de tapis ressemblant fort étrangement à Louis de Funès dont la maison s’est miraculeusement transformée en homestay. Je paye 6$ la nuit, 1$ le petit-déjeuner et 3$ pour un copieux souper. La plupart du temps, je zappe le petit-dej et le diner afin d’économiser les quelques dollars qu’il me reste pour la suite du voyage car le prochain bancomat est à Tashkent en Ouzbekistan. Et puis j’ai tout juste ce qu’il me faut en tomans pour payer les nuits et quelques soupers. Il me raconte comment il est venu habiter en Suisse avec sa femme pour vendre des tapis. Il me parle du choc culturel Iran-Suisse qui a failli les mener à la séparation et de ce couple de suisses qui, les ayant surpris criant et pleurant dans la rue, les invitèrent à partager le repas avec eux. Puisque la générosité iranienne est basée sur la réciprocité, j’aurai donc droit a un repas et une nuit gratuite. Pour autant que je puisse leur cuisiner quelque chose. Pas de problème, ce sera un risotto au safran, ca je sais faire!

Mais d’abord, ce soir c’est Yalda, célébration de la plus longue nuit de l’année qui marque le début de l’hiver. Ah l’hiver, je me dirige en plein dedans.. et pas moyen d’y échapper! Ou du moins pas en respectant les règles que je me suis fixées. Mais ce n’est pas grave, ca fait partie du jeu et il va falloir s’adapter. Je suis invité a partager le repas avec la famille de Vali et quelques invités. Lors de cette nuit, il faut manger de toutes les sortes de fruits afin de se prévenir contre les maladies de l’hiver et rester éveillé pour fêter toute la nuit. Il y aura donc la fille de Vali qui a mon âge et qui passe en coup de vent d’une pièce a l’autre à chaque fois que je suis dans les parages. Je n’ai jamais vu son visage et je ne sais même pas comment elle s’appelle. Elle garde toujours son foulard sur les cheveux en ma présence et cette soirée ne fut pas une exception. Je ne saurais comment décrire l’atmosphère du souper mais imaginer vous assis sur un canapé au milieu d’un fête de famille dont vous ne faites pas vraiment partie et où les convives échangent des blagues en farsi sur leur cher président adoré (ironie bien sûr). Ayant eu le droit à deux phrases en anglais de toute la soirée, je commencais à songer sérieusement à m’éclipser afin de les laisser en famille. Après quelques heures qui me parurent une éternité, je rassemble tout mon courage, me lève et remercie la cuisinière en farsi pour le délicieux souper. Shab be kheir, bonne nuit tout le monde.


Le lendemain matin, alors que je m’apprêtais à éplucher le lonely planet de Vali, il m’expliqua tout simplement que, étant donné que je voyageais avec peu d’argent, je pouvais avoir le petit-déj et le souper for free. Toujours à condition que je leur fasse mon risotto dont il a rassemblé les ingrédients. Ce sera donc petit-déj et lecture du lonely planet. J’ai noté l’emplacement d’un caravansérai afghan près d’Imam Reza et me met en route après avoir englouti un thé, un verre de lait et une grande quantité de pain plat, confiture et fromage. Arrivé aux alentours d’Imam Reza, les réfugiés afghans qui dorment sur les bancs publics m’indiquent que je ne suis pas bien loin. Mais après quelques allers-retours, impossible de trouver ce foutu caravansérail. Je me rends vite compte que ce n’est pas les quelques rues gribouillées dans mon calepin et tristement affublées d’une croix pour marquer l’emplacement de l’endroit convoité qui me permettront de trouver mon chemin dans ce dédale de petites ruelles. Au diable le laundry pas nette! De toute facon, il ne m’a jamais vraiment aidé à dénicher ces endroits magiques dans lesquels je me suis souvent retrouvé par erreur. Je fais donc confiance à mon intuition et pénètre dans une vieille ruelle, une fois de plus à la recherche de je ne sais quoi…

Tiens, un bar à shisha! (ou plutot Ghaliun en farsi dont le « gh » se prononce par un raclement de gorge assez proche du « r » en francais, mais bonne chance pour y arriver..). Je m’enfonce donc dans la fumée ambiante pour aller m’asseoir en tailleur sur un de ces tapis persans disposés à la hauteur des genoux, faisant office de table et de banc à la fois. Quelqu’un vient vers moi pour prendre ma commande en farsi, ce qui donnera quelque chose comme : Ye Chayi, ye Ghaliun, lotfan. Je n’utilise jamais cette phrase dont la plupart des touristes usent tel un bouclier : Inglisi baladi?? Autant se balader carrèment avec un écriteau touriste sur le front.. et puis, de toute manière, la chance de trouver quelqu’un de plus de trente ans qui parle anglais ici est bien mince. Mais cette fois, il insiste :

- Chayi sangiiii??
- (??? euh..) Bale, bale. Bebakhshid man farsi nemifamam. (oui, oui. Desole je comprends pas le farsi)
- Arabiii??

Tiens, le voilà qui crois que je suis arabe maintenant. Déja que tout le monde me prends pour un iranien.. Iranien passe encore mais arabe, c’est pas bon pour moi. Mieux vaut rectifier au plus vite.

- Nah! Arabi nah. Souiiisse!

Essayez ‘switzerland’ et personne comprendra.. avec « souisse » la plupart des gens penseront que vous êtes suédois et quelques géographes diplomés comprendront peut-être d’où vous venez réellement. La fumée du Ghaliun me montant gentimment a la tête, c’est pas les shisha au goût de fruits qu’on peut trouver en Suisse ou en Turquie, je commande un deuxième thé car je sais que le sucre qu’il contient aidera a dissiper l’effet. Le « café » se rempli de militaires, de jeunes venus manger des omelettes et fumer en toute convivialité, il n’y a bientôt plus une place de libre. L’ambiance est indescriptible, les serveurs s’agitent de toute part au milieu de la fumée ambiante alors que je contemple tranquillement les reliefs inspirés de persepolis qui ornent les murs. Soudain, le vieil homme avait pris ma commande, s’exclame : Arabi, chahar tomans! (pour l’arabe c’est 4000 tomans) et plein d’autres mots en farsi dont je ne saisi guère le sens. Mais je suis en Iran depuis assez longtemps pour comprendre qu’il s’adressait au caissier et que c’est sa façon de me dire de dégager. Etant donné que je n’ai pas vraiment l’air de vouloir partir, il me reprend mon Ghaliun..

- Eh!! mais je n’ai pas fin…

Tant pis, rentrons. Ce sera 4’000 tomans (1,30$ pour 2 thés et une shisha), apparemment pour les suisses et les arabes c’est le même prix.. J’en suis a 7,30$ aujourd’hui et c’est bien assez.. Rentrons, j’ai un risotto à préparer…