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Retour en Perse

Retour en Perse

Retour en Perse

Je ne sais trop que dire sur l’Iran car j’y ai passé pas mal de temps maintenant. Un mois et demi en hiver 2012 et bientôt un mois déjà pour ce voyage là. J’ai en quelque sorte perdu mon regard nouveau sur ce pays. Je me suis peut-être un peu habitué à ses surprises. Pour moi c’est un pays où l’art est encore bien vivant et si l’on aime l’esthétique et la poésie, il y a de quoi s’y retrouver. Aujourd’hui, souvent, les femmes portent le hijab comme un foulard autour des cheveux plus ou moins en retrait vers l’arrière de la tête en signe de protestation. Parfois, certaines ne le portent pas et suivant les circonstances cela peut leur attirer des ennuis. Elles ont su rendre esthétique ce qu’on leur imposait de force ce qui mérite de l’admiration. De mon regard d’étranger, il me semble que l’émancipation et la morale islamique mènent un bras de fer éternel oscillant tantôt d’un coté tantôt de l’autre. Et ce qu’il y a de curieux, c’est qu’avant la révolution islamique de 1979, l’Iran était apparemment un pays bien différent sous le régime du Shah, le dernier roi d’Iran. Je dis bien curieux car je n’ai aucune vocation d'analyser ces sujets là et je laisse soin à ceux qui ont des affinités pour l’histoire et la politique d’en faire leur affaire.

J’ai encore en tête l’image d’une femme iranienne qui remet son hijab en place alors qu’elle est en train de souder les composants d’un interphone ou d’une autre qui le relance par dessus son épaule une énième fois afin de pouvoir continuer, en paix, de laver une voiture au jet à haute pression. De mon regard d’étranger, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi ne laisse-t-on pas à ces femmes le confort dont elles ont droit. Encore une fois, loin de moi l’idée de faire des analyses sur des sujets dont je n’ai aucune connaissance, néanmoins, il me parait utile de relater ces images. L’Iran, je ne saurais comment décrire ce pays. C’est une tâche difficile pour un européen. J’y vois un mélange d’art, de poésie, d’artisanat persan, d'architecture, d’islam, d’hospitalité et bien d’autres choses que je ne saurais expliquer. Et toutes ces choses qui se mélangent peignent un tableau haut en couleur sur une toile d’islam austère, noire ou grise, car c’est tout ce qu’elle s’autorise.

Comme j’avais un peu de temps, je lisais "La vie devant soi" de Romain Gary. C’est le genre de livre où il faut avoir un peu réfléchi sur la vie pour apprécier. C’est pas que c’est compliqué, au contraire. C’est des mots qui sortent de la bouche d’un arabe de dix ans et des poussières élevé par une vielle juive au sixième étage. Enfin, je vais pas tout vous raconter mais si je parle de ça c’est pour vous dire que pour quelques paragraphes je risque de déborder un peu sur le style, ça m’arrive parfois quand je lis un livre avec un style particulier, je fais pas exprès. Ca m’avait fait pareil avec Mort à crédit de Céline mais ça n’avait pas duré ce qui est plutôt une bonne chose croyez-moi. Et ça m’a rappelé Kerouac qui lui aussi avait oublié les chapitres sur la route et avait tout mis à la suite. Et j’avais pas aimé mais je crois que c’est parce que j’étais pas d’humeur. J'avais pas aimé Bouvier et son usage du monde non plus mais j’avais bien aimé son poisson scorpion. Enfin, bref.

Ce qu’il faut savoir c’est que j’avais aimé à l’Est d’Eden de Steinbeck, c’était un peu long et chiant mais rempli à ras-bord de bonnes idées. C’est des livres qui vous marquent pour un bon moment et c’est plus facile de les lire que de les écrire. Même si j’ai toujours eu de la peine à me concentrer et rester tranquille pour lire un livre. Moi ce que j’aime c’est les idées bien faites. Ca prend du temp à naître et ça fatigue mais ça vaut le coup. Quand je regarde Instagram, je me dit que c’est quand même marrant que les gens arrivent à se rendre malheureux en regardant le bonheur des autres étalé ci et là. Moi, ils m’ont fermé mon compte et j’ai rien pu récupérer alors j’ai pas encore eu le courage de m’y remettre. Je sais pas si c’est grave mais c’est chiant.

Dans une librairie d’Isfahan, j'ai acheté un recueil de poèmes de Rumi ainsi qu’un livre qui s’intitule "Basic writings of existentialism". Et bien sachez qu’il n’y a rien de basique là-dedans. J’ai toujours été attiré par la philosophie de l’existence et, pour cause, je trouve un peu dommage quand ça en devient illisible. Au début, ça parlait de Kierkegaard et du désespoir et j’aimerais vite faire une note là-dessus avant de revenir à l’Iran et terminer. Parmi les lignes qui étaient encore lisibles, on pouvait distinguer l’idée que dans l’absence de possibilités, tout devient nécessité et trivialité, ce qui mène au désespoir. Être est la synthèse de nécessités et de possibilités. Le seul salut réside dans le champ des possibles. Cela me parlait car lorsque j’étais en Irak (voir post précédent), je me sentais déprimé notamment par l’anéantissement de mes possibles. Et je pensais à tout ces gens en Europe (et ailleurs) à qui l’on restreint aujourd’hui les possibles.

Enfin. J’allais beaucoup mieux et me sentais à nouveau moi-même ce qui n’est pas rien croyez-moi. J’ai eu la chance de passer quelques jours dans une famille iranienne à Karaj où j’ai été très bien accueilli. Nous avons échangé quelques mots de farsi que j’ai pu ajouter à mon vocabulaire ce qui, par la même occasion, a permis à la maitresse de maison de réveiller son anglais. Elle a cuisiné le ghormeh sabzi et le mirza ghasemi qui sont tous les deux des plats iraniens délicieux (kheili khoshmaze). J’ai fait des crêpes. Aujourd’hui, je descend vers le sud de l’Iran sans avoir trouvé de solution pour continuer vers l’Afrique ni pris de décision pour un retour. J’ai besoin et aurai probablement toujours besoin d’un but vers lequel avancer. Je ne sais pas pourquoi mais je ne me sens bien que lorsque ce que je fait a une forme de projet qui fait du sens. Vivre simplement ou simplement vivre me semblent hors de portée, du moins pour l’instant.


“La vie ne se comprend que par un retour en arrière, mais on ne la vit qu'en avant.”
― Soren Kierkegaard