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Naufrage: 4 jours entre le Kyrgyzstan et la Chine

Naufrage: 4 jours entre le Kyrgyzstan et la Chine

Naufrage: 4 jours entre le Kyrgyzstan et la Chine

Il serait plus que temps de vous conter mes péripéties uzbek et kirghiz mais je ne résiste pas à l’envie de raconter l’aventure de ces derniers jours tant elle est encore présente et presque intacte dans ma mémoire. Cette histoire commence à Osh au Kyrgyzstan alors qu’un petit oiseau venait tout juste de s’envoler vers Tashkent. Je l’ai regardé s’éloigner lentement. Et puis, je me suis mis à marcher sur la route menant à Sary Tash, dernier village à la croisée des chemins entre le Kyrgyzstan, la Chine et le Tajikistan. Le cap était mis sur la Chine avec Kashgar pour seule destination connue. Il était prévu de me rendre à Sary Tash en stop et d’y passer la nuit avant de continuer vers Kashgar le lendemain matin.

Je me mis donc à marcher un peu à contrecoeur le long de la route menant vers Sary Tash à la recherche d’un endroit propice pour faire du stop. En vérité, j’avais un peu l’esprit embrouillé et je repensais à cet oiseau. La musique dans les oreilles, j’avançais le long de la route jusqu’à passer la bifurcation pour Bishkek. A partir de ce point, tous les véhicules se rendent à Sary Tash, il n’y a plus d’autres possibilités. Après quelques tentatives ratées, une voiture s’arrête et, le plus vieux des trois hommes, veste en cuir et ouchanka (chapeau russe), m’interpelle. Ils acceptent de me prendre mais il faut payer ! Comme il est tard, je sors un billet de 200 soms (4 $) de ma poche tout en expliquant que c’est tout ce que j’ai. Car ce voyage c’est aussi parfois l’école du mensonge. Je me suis assez vite rendu compte que dans certaines situations, il ne faut pas hésiter à mentir, que cela évite plein de problèmes.

A la tombée de la nuit, ils me déposent à Sary Tash dont le centre du village est découpé par une route en forme d’Y déchiré entre Chine et Tajikistan. Il y a un panneau « guest house », quelle surprise ! Je m’y rend. Sur le chemin, un petit garçon court vers moi en criant « hotel ? hotel ? ». Cette maison n’a pas l’allure d’une guesthouse mais peu importe, j’entre. Un vieil homme m’accueille et m’invite à m’asseoir près du fourneau dans le salon. Il n’y a pratiquement pas de meubles, juste une table basse et des couvertures traditionnelles en guise de sofa. La télé satellite est le seul intrus de ce pauvre logis. On me sert donc le thé avec un pain du village qui ne ressemble déjà plus au lipiochka que l’on trouve partout au Kyrgyzstan. C’est 400 soms (8 $) la nuit nourri logé. Je tends 390 soms, un sourire et tente ma chance : mojna ? Il grommelle: « mojna mojna… ahh davai! ». On discute deux minutes en Russe autour des sujets habituels : Est-ce que je suis marié ? Des enfants ? Mais qu’est-ce que j’attends bordel... Puis il allume la télé sur une chaine russe dont le débit de mots surpasse bien évidemment ma médiocre maitrise de la langue. Je jette un oeil à mon téléphone, pas de réseau. Le jeune garçon m’emmène dans une autre pièce, toujours aussi vide de meubles, où l’une des fenêtres comporte un support en bois sur lequel je suis invité à poser mon téléphone. Effectivement, après 30 secondes, une barre de réseau apparaît.. puis disparaît et ainsi de suite. Une de mes pensées se dirige alors vers la douche que je n’ai pas pu prendre à Osh mais s’évaporera tout aussi vite lorsque je verrai le gamin courir dans la neige avec sa bassine d’eau sale pour la déverser à l’extérieur. Je pourrai bien prendre ma douche demain, à Kashgar.

Le lendemain matin, je me lève de bonne heure, le temps de prendre le thé et à 8h00 je suis sur la route prêt à dégainer mon pouce vers le premier camion se rendant à Irkeshtam. C’est le nom du poste frontière se trouvant dans la montagne à 71 km de Sary Tash juste après un col à 3’500m. Entre 8h00 et 10h30, deux camions passent mais ne s’arrête pas pour autant. Quand je questionne les villageois, on me répond que la route est fermée à cause de la neige (sinek). Je retourne donc dans mon salon tout en expliquant au vieux dans un russe impeccable « kamaz nieto » ou en bon français : Y a pas de camion ! J’en rajoute un peu sur la neige et tout le tralala et puis je me me lance dans la lecture de Terre des hommes de Saint-Exupéry. Depuis ma fenêtre, je suis à l’écoute de la route mais aucun autre camion ne passera ce jour-là. Je trouve la première moitié du bouquin ennuyeuse et saute plusieurs pages jusqu’à arriver à l’endroit où Saint Exupéry raconte son crash d’avion en plein désert du Sahara. Je lis avec enthousiasme ce récit d’aventure où il a bien failli mourir de soif au coté de son camarade Prévot. Ce livre tantôt génial tantôt ennuyeux à mourrir m’occupera pour la plus grande partie de l’après-midi. Le reste du temps, je me balade dans ce village où il n’y a rien d’autre à faire que d’observer cette vie si différente de celle que j’ai connu en suisse. D’ailleurs je filme un peu à la GoPro. Chiens, ânes, vaches et moutons se déplacent librement sur la seule route du village. Les gamins se rendent à l’école le matin poursuivis par quelques chiens qu’ils s’empressent de chasser et ce petit rituel m’apparait comme une habitude journalière. L’après-midi, personne ne semble retourner à l’école. Des enfants jouent au volley séparé de chaque coté d’un filet tendu sur la neige.

Le 2ème jour, voulant mettre en pratique le conseil que m’avait donné Peter à Samarkand, je décide de me lever à 4h20, une légende urbaine prédisant le passage des fameux camions avant l’aube. De ma couche, j’écoute la route. Peu avant 5h, je crois entendre quelque chose passer mais impossible d’être sûr que ce soit un camion. Je décide tout de même de sortir du lit, m’emmitoufle et me met à mon poste. Une heure plus tard, toujours rien ! Je crève de froid et décide d’aller me recoucher un moment. Ressors à 7h30 et rencontre Olliver au bord de la route attendant lui son camion pour le Tajikistan. J’ai omis de raconter que deux voyageurs sont arrivés la veille, Francois et Olliver, un français et un allemand, les voisins viennent me rendre visite. Ils ont dormis à la guest house qui finalement ressemble de près à mon « hotel » sauf que chez moi il fait plus chaud et ça revient moins cher. Francois a réussi à monter dans une voiture qui se rendait à Irkeshtam pour 500 soms (10 $) pendant que j’étais au chaud. Apparemment c’est le seul véhicule qui est passé depuis et il n’y avait qu’une place de libre. A 8h30, un camion arrive et... tourne vers le Tajikistan. Olliver négocie sa place pour 1’000 soms jusqu’à Murghab (20 $!). Les voisins sont arrivés, partis ce matin et moi, comme un con, je suis toujours au bord de la route. Bien sûr je ne supporte guère de rester planté là. La première fois, j’ai marché quelques kilomètres vers Irkeshtam et retour au croisement. Deuxième fois, environ 3km dans l’autre direction vers un camion en marche posté au bord de la route. Je frappe à la porte et m’enquiers de la situation des camions au Kyrgyzstan tout en indiquant que je commence gentiment à perdre patience. Le chauffeur m’ouvre la porte de son camion, en slip, et me réponds d’un haussement d’épaules : mnie Afghanistan… Super!

Vers 10h00, je perds patience. Je décide de marcher en direction d’Irkeshtam. 71km à 5km par heure ca fait 14 heures de marche. Si je pars sans eau et avec une demie lipiochka et quelques biscuits, c’est qu’à ce moment là je m’imaginais peut-être rebroussé chemin avant la tombée de la nuit et dormir une fois de plus au village. Mais plus je marchais et moins j’avais envie de retourner en arrière. Et je me mis à penser très fort à quelqu’un qui se reconnaitra si je mentionne le mot Fidjire. Il n’y a sûrement qu’une seule personne qui comprendra et c’est à elle que je pensai tout au long de ce périple. Au panneau kilométrique 190, il était 11h16. Au kilomètre 191, 11h26. J’avançais donc à 6km/h, mon sac commençant à peser et une douleur à l’épaule gauche. J’avançais, heureux et inépuisable, dans la poudrière kirghize passant tous les deux kilomètres quelques habitations ou containers abandonnés dans lesquels je pourrai m’abriter si besoin. Le plus important, c’est de continuer de marcher, surtout ne pas s’arrêter épuisé dans la neige. J’avais de la chance car cet après-midi, il faisait plutôt chaud. Le soleil, bien que masqué pas les nuages, me brûle lentement le visage. La blancheur éclatante de la neige m’aveugle et j’avance par moment les yeux fermés sur cette route toute droite. La première fois, je m’arrête pour remplir d’eau dans une rivière un de mes sacs de congélation. La deuxième fois, pour manger un biscuit et un peu de pain. Je garde la musique et les vivres pour les moments difficile, le moral c’est le plus important. Je croise toute sorte de bêtes dont un renard, étrange clin d’oeil à St-Exupéry. Il y a aussi les chiens sauvages qui ne m’effraient plus car ils n’attaquent que rarement pour autant qu’on ne se mette pas à courir. Et puis des corbeaux se rassasiant sur une carcasse de vache.

Je m’arrête une troisième fois car je découvre dans la neige une mansarde abandonné portant l’inscription magazin ou plutot магазин. Je défonce la fenêtre et c’est sans surprise que je découvre trois pièces complètement vide. Il y a tout de même un fourneau et une des pièces dont la porte ferme bien serait l’endroit idéal pour dormir. J’hésite quelques secondes et puis, suivant mon instinct, décide de continuer. Après tout, il n’est que 14h30. J’ai à peine repris ma route qu’un camion d’un rouge flamboyant déboule sur la neige, foncant droit sur moi. Je fais de grands signes, il s’arrête et je monte à bord. Les deux Uyghur à bord ne sont qu’à moitié surpris de me trouver là au milieu de nulle part, à 20 km du village. Je n’ai pas la force d’aborder les questions d’argent et m’empresse de vider le reste de mon sac de congélation le longe de ma gorge et d’avaler le reste de mes biscuits et de mon pain. Ils me regardent d’un air curieux, fronçant les sourcils, réalisant probablement ce que j’étais en train de faire. Moi, je suis à moitié heureux d’avoir trouvé mon camion, à moitié déçu de n’avoir pu mener mon aventure jusqu’au bout.

Pourtant, tout n’est pas terminé et j’aurais tort de me réjouir trop vite. A 17h00, nous arrivons à la frontière chinoise mais il est trop tard. Les officiers me font vider entièrement mon sac (ce que je devrai faire encore deux fois avant Kashgar), inspecte mes cartes SD et mes livres. C’est avec un sourire qu’ils nous expliquent qu’ils gardent nos passeports et que nous ne sommes pas autorisés à continuer avant demain matin 10h30 ! Mon chauffeur de camion qui voulait 2’000 soms (40 $) jusqu’à Kashgar et à qui j’ai bien fait comprendre que si j’étais prêt à payer autant je ne serais probablement pas en train de marcher dans la montagne, s’évapora et je ne le revis plus. Cette frontière est en fait l’ancienne frontière et la nouvelle se trouve à Ulugchat (Wuqia) où j’aurais mon tampon d’entrée. Parmi les bâtiments aux caractère chinois, se trouve un dortoir dans lequel on me force à dormir (pour la modique somme 25 yuan ça va; 4 $). Je ne sais pas par quel miracle je réussis à changer mes 100 soms et deux billets de 1 $ à un taux avantageux (ou peut-être étais-je trop fatigué pour comprendre que le taux était désavantageux comme cela arrive souvent). On me donne donne 34 yuan au lieu de 25 et ca me permettra de manger le lendemain sans avoir à sortir les gros billets. Après 3 jours, je n’ai toujours pas pu prendre de douche et ce jour là, je n’aurai mangé qu’un peu de pain, des biscuits et du thé. Comme si le sort s’acharnais sur moi, je dois partager le dortoir avec le jeune Uyghur voyageant dans le même camion et il n’a pas l’air de vouloir dormir. Il regardera des dvd’s chinois sur la TV juste à coté de mon lit jusqu’à 8h00 du matin ! Heureusement à 2h00, sentant le truc venir, je m’énerve, empaquète mon lit et me déplace dans le dortoir d’à coté.

4ème jour, 9h30, j’embarque toutes mes affaires et vais rendre visite aux officiers chinois. Pas moyen de récupérer mon passeport avant 10h30 mais au point où j’en suis ça m’est bien égal. Finalement, je récupère mon passeport et les officiers chinois nous mettent dans un camion direction Ulugchat l’autre couillon et moi. Le chauffeur est kirghiz et super sympa. Je peux à nouveau communiquer en russe et ca me met de bonne humeur. On traverse une région qui ressemble fortement au désert du Nevada et, pour la première fois, je vois des chameaux dans leur environnement naturel. C’est magnifique et rien que pour voir ça, je ne regrette pas tout ce que j’ai traversé. De nombreux détails ont été omis dans ce récit mais on ne peut pas tout raconter. J’arriverai à Kashgar à la tombée de la nuit après avoir payé 15 $ pour un taxi depuis Ulugchat, épuisé de faire du stop.

15$ et le plein d’aventure au lieu de 55$ pour un bus Osh – Kashgar, je ne regrette rien. C’est le visage brûlé par le soleil et les yeux grands ouverts que je découvre la veille ville de Kashgar au crépuscule de mes péripéties et à l’aube d’une bonne douche chaude…