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Marc, vodka! ..et autres emmerdes (2/2)

Marc, vodka! ..et autres emmerdes (2/2)

Marc, vodka! ..et autres emmerdes (2/2)

Le train avait mis dix heures au lieu des sept annoncé. Dix heures dans le couloir d’un wagon de train, assis sur mon sac à coté des toilettes ou debout appuyé contre la vitre pour mieux apprécier la noirceur du paysage nuptial. Autant dire que les distractions furent minces. J’en venais presque à regretter les cinq dollars lâchés en guise de billet à un contrôleur corrompu jusqu’à l’os. Afin de passer le temps, Nurick m’offrit mon premier cours de russe où j’appris comment dire « ami » (друг, prononcez ‘drook’) et bien d’autres choses dont j’ai déjà oublié la signification. Il faut dire que j’ai eu autre chose à faire que d’apprendre le russe durant les jours qui suivèrent…

Descendant du train, le froid glacial de l’hiver fut la première impression qui s’offrit à moi. Un fort vent du nord giflait mon visage comme pour me rappeler sans cesse à la réalité alors que nous attendions un taxi depuis trop longtemps déjà. Cette réalité justement, je l’observais tout autour de moi : un vieux quartier grisâtre dont la laideur des mansardes donnait une triste impression de déjà vu, peut-être un morceau de mon imagination tiré d’un cours d’histoire sur l’ancienne Russie. Tout en plaisantant, Nurick m’avait promis filles, vodka et jacuzzi. Je n’y croyais pas trop et c’en était presque louche mais tout ce qui m’intéressait en ce moment, c’était un bon repas et un lit chaud. Il m’emmena donc dans une sorte de cantine où j’appris tout en engloutissant ma soupe que Turkmenabat était privé d’électricité et d’eau courante depuis la veille. Raisons inconnues ou du moins, malgré son talent pour le langage des signes, Nurick fut incapable de me transmettre l’information.

Il était temps de trouver un endroit où dormir lorsque je me souvins d’avoir noté quelque part dans mon carnet l’adresse d’une auberge. Lebap Gurlushyk, 6$ la nuit. C’était parfait, il suffisait de m’y rendre en taxi, de demander la chambre la moins chère et de m’affaler sur lit pour les heures suivantes. Arrivé à l’auberge avec mon interprète, je fus forcé de constater la légère inflation des prix : 18$ pour une chambre au sous-sol, 35$ pour le premier étage. Payer 18$ pour une chambre sans eau ni électricité, pas question ! Les quelques autres hôtels visités ne proposant pas mieux, Nurick me proposa de dormir chez son frère. En deux minutes, je me retrouvai sur un canapé confortable, à regarder des photos de famille avec son frère, sa belle-soeur et sa grand-mère. Bien sûr, aucun de mes hôtes ne pouvait s’exprimer en anglais. Ils m’offrirent une assiette de plov (plat a base de riz, viande et légumes d’Asie centrale) puis je m’endormis sans peine dans une des deux chambres de ce petit appartement.

À mon réveil, Nurick était de retour et me proposa de m’emmener à cet endroit où se trouvait les fameux jacuzzi et sauna. Pour être honnête, je ne comprenais pas grand chose au programme et décidai de me laisser guider puisque, de tout manière, j’avais une soirée à tuer avant de passer la frontière ouzbèke. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le programme fut plein de surprises. La promesse était fille, vodka et jacuzzi. Je m’étais très naïvement imaginé avec Nurick et deux copines dans un jacuzzi à boire de la vodka. Image qui s’envola en fumée après avoir passée les filtres de ma raison. Restait la question de savoir ce qu’il voulait dire par là car l’incompatibilité de nos langues m’empêchait d’y obtenir une réponse satisfaisante… Dans les heures qui suivirent, je me retrouvais donc avec une entrée dans une sorte de spa (ressemblant plus à un complexe de douches communes qu’autre chose) en poche à boire de la vodka et manger des samsa (sorte de rissoles à la viande) avec Nurick et ses deux frères. Les filles dont il me fit la proposition étaient de celles dont on affuble d’un suffixe « de charme » et dont j’eus l’apparente lueur d’esprit de refuser. Alors qu’un des frères se lançaient dans de grandes explications sur sa jeunesse dans un anglais plus qu’approximatif, j’eus une courte pensée pour ma veste en cuir laissée dans l’autre pièce. Sensation bizarre, intuition, excusez-moi mais il faut vite que j’aille vérifier quelque chose ! Je rejoins mon blouson d’un pas pressé, ouvre la poche intérieur dans laquelle se trouve mon porte-monnaie et mes 200 derniers dollars en cash. En quelques secondes, je compris que j’avais vu juste (des billets jetés à la va-vite en travers de la poche). Un sentiment très étrange mêlé de colère et de dégout m’enveloppa et je pris tout juste le temps de compter mon argent pour constater qu’il manquait 50$. Je rassemble tout mes affaires, sort de la pièce et jette un regard noir à cette famille qui semble ne savoir que dire. Le frère était déjà parti et le temps semblait suspendu autour de moi durant d’interminables secondes…

Je ne sais comment décrire ce qui s’est passé mais après avoir crié sur Nurick puis sur sa soeur et sa belle-sœur me tirant chacune dans une direction différente tout en s’engueulant l’une l’autre en turkmène, je décide qu’il est plus que temps de se barrer. Nurick se lança à ma poursuite tout en essayant de me convaincre qu’il allait me rembourser. Mais je n’en avait rien à faire de l’argent, c’était autre chose qui s’était brisé sur ce coup là. J’avais été stupide, l’Iran avait réduit ma méfiance à un niveau bien trop bas pour n’importe quel voyageur et j’allais devoir en tirer des leçons pour la suite. Il était 20h, il faisait nuit noire et je n’avais aucune idée d’où aller alors je me résigna à prendre un taxi avec Nurick vers cet endroit auquel j’avais le droit à une douche et un sauna. Après tout, j’avais déjà payé et il faisait bien trop froid pour errer dans la rue. Après s’être excusé mille fois et avoir tenté de m’expliquer qu’il ne comprenait pas ce qui s’était passé, Nurick me laissa avec la promesse qu’il allait revenir avec l’argent. Je n’en avait rien à faire et n’y croyait pas du tout. J’entrepris alors de prendre une longue douche chaude pour chasser toutes ces pensées de colère et de culpabilité qui m’habitaient. Le sauna ne fonctionnait pas et je n’avais pas la moindre envie de m’enquérir sur le jacuzzi. Deux heures plus tard, ma tête étais toujours pleine d’une pièce de théâtre qui ne cessait d’y être jouée et rejouée ce soir là. J’étais assis près de l’entrée tentant d’échafauder un plan pour ma dernière nuit au Turkménistan lorsqu’un type m’approcha.

C’était le patron du « spa » et il était probablement curieux de savoir pourquoi je trainais tant ici. Je n’étais pas trop d’humeur à faire la conversation, curieusement devenu plutôt méfiant envers la race humaine. Puisqu’il insistait, je finis par lui raconter ce qui venait de m’arriver. Il me proposa de prendre un café dans son bureau, m’offrit a souper dans le petit annexe adjacent dédié au repos du chef et me laissa gentiment dormir sur le canapé. Il se réveilla à l’aube pour m’indiquer où prendre le taxi vers la frontière, négocia le prix et me donna même 20 Manat (6$) pour le payer ce que j’essayai de refuser sans succès. Il s’appelait Timur et je lui en serait éternellement reconnaissant. Ma confiance en l’espèce humaine fut partiellement rétablie alors que je me dirigeais à la fois vers l’Ouzbékistan et vers 2013, à quelques jours seulement de cette sale histoire…

Il me restera toujours du Turkménistan le souvenir des dents en or qu’arborent fièrement de grosses femmes en robes colorées et le gaz gratuit qui ne cesse jamais de brûler dans les foyers puisqu’ il en coûterait plus cher de craquer une allumette.