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En terres Maasaï

En terres Maasaï

En terres Maasaï

Kenya, 140 km au nord de Nairobi, ce bon vieux Duster ne démarre plus.

Quelques kilomètres plus haut, sur la route qui mène du poste frontière de Moyale à Marsabit, le long du désert de Chalbi, je découvre pour la première fois le bush kenyan. Un soleil de plomb rend ce bush aride. Tout est sec. Les habitants des tribus du nord marchent le long de cette route une bouteille en plastique vide toujours à la main. Pour réclamer de l’eau, ils la brandisse à chaque véhicule avant de les voir s’enfuir soulevant un nuage de poussière. Des épines d’acacias recouvrent un sol rouge vif et alors que je m’engouffre entre ces buissons, je me demande comment mes pneus peuvent-ils sans cesse rouler dessus sans crever. S’échapper dans le bush pour être tranquille, loin des yeux et de la route, le temps d’un café ou d’un repas. Cela parait évident et pourtant maintes fois j’ai vu un Maasaï ou un Samburu surgir de nulle part et venir à moi. Le fait d’être constamment la proie de l’attention et des regard qui finit par peser sur l’occidental. Cette fois je suis seul et c’est ma première rencontre avec le bush, l’Afrique de l’Est et sa faune sauvage. Très vite, je sens le bush m’ensevelir comme s’il voulait me prévenir que n’importe qui ou n’importe quoi pouvait surgir de derrière un buisson d’acacia. Plus je m’enfonce et moins j’ai confiance dans cet environnement nouveau dont je ne connais pas les règles. Le silence règne et le moindre bruit me fait tendre l’oreille. Crac! Finalement, ce n’était qu’une autruche qui pris ses jambes à son cou et s’évanouit aussi vite au fond de la savane.

J’arrive à Marsabit en deuxième avec la pédale d’embrayage collée au plancher. Les problèmes d’embrayage c’est quand on apprend comment ça fonctionne et comment rouler sans. Il me reste 10km, peut-être un barrage routier mais au plat, ça va. Je peux passer la troisième si je dose bien et je m’arrêterai au premier garage. Ce qui fut une grave erreur. Il aurait mieux valu s’arrêter au centre du village et faire quelques recherches. Ils me demandent mon cric pour lever la voiture! Quelques heures plus tard, la boîte de vitesses est déposée et l’avant du Duster calé sur deux jantes. Complètement à l’arrache mais bon au final ça le fera, j’aurais juste payé une fortune pour la commande de débrayage. C’est le problèmes des pièces. Ici, il faut une Toyota ou quelque chose de commun. Passé près d’une semaine dans une minuscule chambre d’hôtel avec aller-retours au garage pour suivre l’affaire. A Nanyuki, rebelote, pas de pression à la pédale d’embrayage, on changera l’émetteur et je passerai encore une semaine à attendre la pièce que l’on me vendra cinq fois le prix. Enfin, c’est réparé. C’est alors confiant que je prendrai la route pour Nairobi. J’accepterai même comme passagère une italienne désireuse de se rendre à Nairobi. Pourtant, en chemin, je m’étonne de ne pas pouvoir passer ni la première ni la deuxième. Je tente de rester en troisième mais avec cette route qui monte et qui descend sans cesse et le trafic qui s’intensifie c’est mission impossible. Puis, à force d’insister, ce bon vieux Duster finit par ne plus vouloir démarrer. Je crois qu’il en a marre. Et moi aussi d’ailleurs. La mécanique ce n’était pas spécialement prévu au programme. Après les multiples épisodes de l’embrayage, je pensais en avoir soupé. Je m’y accommode car il le faut et quelques pérégrinations plus tard, nous décidâmes de tenter le système D qui devrait bien marcher ici, c’est-à-dire trouver quelqu’un qui pourrait nous tracter jusqu’à Nairobi. Manque de pot, personne n’est emballé malgré l’aide de Mara dont je pensais que la simple présence féminine aurait pu aider à débloquer rapidement la situation. Le Duster finira donc les 140km qui le sépare de Nairobi sur une dépanneuse et c’est pas donné!

A Nairobi, je choisis mieux mon port d’attache, un camping avec garage intégré nommé “Jungle Junction” bien connu des overlanders (voyageur motorisé la plupart du temps à deux ou quatre roues). Chris, le gérant du camping est un ancien baroudeur allemand qui s’est installé là avec sa famille. Chris s’y connait en mécanique. Il était chef d’équipe chez BMW. Il me laisse mettre la main à la pâte dans son garage et ensemble nous arriverons à bout des problèmes qui s’étaient accumulés au fil du temps. Régulateur de pression carburant mort, câble sélecteur de vitesses cassé et filtre à particules bouché. Une bonne âme m’amène les pièces depuis l’Autriche. Un mois plus tard, le Duster respire enfin. Sans filtre et plein gaz!

L’Afrique enseigne sans cesse la patience comme une leçon difficile à avaler. Une fois de plus, je médite sur le fait que certains aspects d’un tel voyage deviennent assez inflexible une fois en route. A moins d’être vraiment un pro de la débrouille. Et encore, aujourd’hui il y a trop de règles, trop de coûts. Je me rends aussi compte que mon caractère me suivra partout et toujours, et que j’ai beau croire tirer des leçons, je ne changerai jamais vraiment. Enfin! J’ai survécu jusqu’ici donc si on laisse le désir de perfection et la comparaison aux autres de côté, tout va bien.

En parlant des autres, je fis de nouvelles rencontres. Il faut dire qu’à force de tracer la route à travers des pays où je ne rencontrais que très rarement des occidentaux, je finis par me sentir seul et déconnecté. Et comme Moitessier citant Romain Gary, j’acquiesce: “Ce dont l’homme a le plus besoin c’est d’amitié”. Alors quand j’arrivais au Kenya, ce manque de contact social dû être atténué par la grande présence de Muzungu (blanc). Ces nouveaux explorateurs de l’Afrique australe comme j’aime les appeler (affectueusement car la plupart sont très sympathiques, là n’est pas la question). Souvent des couples, dans la quarantaine ou plus, au volant de Land Rover ou de Toyota avec tente de toit et allant de camping en camping tout en prenant le Sud de l’Afrique comme terrain de jeu. Ils s’aventurent parfois au delà pour rejoindre un port d’où renvoyer leur 4x4 en Europe, tenter un retour par la route à travers le Moyen-Orient ou stocker leur véhicule dans un pays dont les réglementations douanières le permettent le temps d’un retour de quelques mois au bercail. Rencontrer des voyageurs et pouvoir échanger sur nos expériences me fit du bien. Et je fis de belles rencontres comme Pierre, un français de 76 ans, qui retourne encore chaque année, seul, en Afrique pour se faire des self-drive safari dans les parcs nationaux et manger des boites de haricots cuites directement sur le feu. Et bien d’autres! Et oui il fait toujours bon échanger avec l’autre. Mais très vite je me sentis à part comme si je cherchais autre chose. Où sont les Goudis, les Monfreid, les Moitessier, les Kessel et autres gars de la même veine. Il fait bon avoir des copains encore faut-il trouver les bons. Est-ce que je me perds entre ma solitude et le monde des autres ? Ce monde des autres dans lequel je ne me retrouve pas. Ou peut-être simplement que je m’ennuie. Après tout j’ai passé pas mal de temps à ramer sur place. A vouloir vivre comme dans les livres, il faut accepter de se heurter souvent à la réalité du monde.

Ici, il n’est pas toujours évident de dormir dans la nature car la majorité des terres appartiennent aux ethnies locales. Ce qui implique d’avoir de la visite à l’approche du coucher du soleil. Cependant, j’eus un épisode fructueux dans le bush au nord de Kimana. Alors que j’étais bien installé, je vis approcher un Maasaï accompagné d’un petit garçon lui arrivant à peine à la taille. Il m’expliqua qu’il ramenait son fils de l’école, qu’il avait vu des traces de pneus et voulait s’assurer que je n’avais pas besoin d’aide. Je le rassurai aussitôt et lui dit que je prévoyais dormir ici pour continuer ma route le lendemain. Il me dit qu’il était pasteur et qu’il n’y voyait aucun problème avant de m’avertir qu’autour de mon campement passait parfois des éléphants, des lions, des léopards, bref toute une liste, car il y avait un point d’eau un peu plus loin. J’avais effectivement remarqué quelques bouses d’éléphants ce qui indique bien un passage. Dans ce cas là, me dis-je, il vaut mieux rester à l’intérieur de la voiture dès la tombée de la nuit jusqu’au petit matin. J’étais donc tranquillement installé sur le siège conducteur à manger un reste de pâtes lorsque je reçu un appel de pasteur Immanuel.

- “ Mister Marc. I am coming to you but I can’t find the car in the night anymore. ”
- “ Humm ok let me switch on the headlights. Do you see me now? ”
- “ Yes, yes, I’m coming. ”
- “ OK but wait didn’t you say that they were lions and leopards around here !? ”

Pasteur Immanuel me confirma qu’il y avait bien des lions mais il me servit un chapitre sur la fraternité et la foi en Dieu qui était plus importante que tout, qu’il n’était pas encore l’heure pour les lions et que de toute façon il connaissait bien les chemins. Il était venu m’apporter un thermos de thé. Il servit deux tasses et j’attendis bien qu’il boive aussi car on ne sait jamais. Sans que je ne dise rien, il me proposa d’intervertir nos tasses ce qui m’inspira confiance. Il marmonna quelques prières et nous bûmes un thé ensemble, moi assis en travers sur le siège passager et lui sur ma chaise de camping. Puis il repartit tout seul dans la nuit avec sa petite lampe.


N. B. : J’ai écrit une grande partie de ce texte alors que j’étais atteint de la Malaria. Il m’était difficile de me concentrer et de formuler mes idées. Aussi, il me fallait me battre contre la mélancolie qui accompagne cette maladie. J’ai décidé de garder le fond du texte même s’il aurait probablement été différent si je n’étais pas malade. Aujourd’hui je suis guéri et je me sens mieux!